Récitations  7, 8, 11, 13 et 14  pour voix seule de Georges Aperghis (né en 1945)   

 

Georges Aperghis, d'origine grecque, s'oriente d'abord vers la peinture puis vient en France se consacrer à la musique dans les années 1960. Autodidacte, il se différencie des compositeurs traditionnels par une approche concrète, vivante et éloignée des spéculations théoriques des œuvres écrites. Aperghis n'est pas spécialisé dans la musique vocale scénique, un répertoire instrumental important existe également (Récitatif de concours, Quatuor), même des "opéras" (Jacques le fataliste).

 

* Ces 14 récitations datent de 1978, et constituent la référence la plus connue d'Aperghis. Elles furent créées en 1982 au Festival d'Avignon et connurent des centaines de représentations, fait rare pour une œuvre contemporaine.

 

* Le son -ici le timbre vocal- est à la fois le point de départ et le but ultime de la composition: des figures musicales ou vocales abstraites constituent le matériau de ces 14 Récitations.

 

* Il n'y a pas de dialogue non plus, elle est seule. importance de la mise en scène: ces récitations sont à la frontière du théâtre et de la musique en raison de l'importance

                               - de la mise en scène: cette femme -et voix- est seule, l'attention de l'auditeur est centrée sur cette femme, ce qu'elle dit, la manière dont elle le dit, et son attitude corporelle indissociable du texte.

                               - d'une production musicale uniquement tourne vers le texte et la diction

 

* Ce qui choque dans cette pièce, c'est que cette voix ne raconte rien, car il faut la comprendre comme un instrument. L'appareil phonatoire est un instrument dont on sort des sons les plus variés possibles en utilisant toutes les techniques offertes. Notre psychologie auditive étant formatée pour donner un sens logique à tout ce qui est émis par la voix, on comprendra notre perplexité à l'égard de ces sons qui prennent l'apparence d'une expression schizophrénique.

 

* Ces récitations pour voix seule, donc,  ne racontent rien. Elles utilisent entre autres des mots mais battent en brèche toute logique d'idées. Elles rendent à la voix la possibilité d’émettre des sons sans qu'ils soient compris, rendant la même impression que lorsqu'on écoute une langue qu'on ne comprend pas. Elles rendent une virginité auditive à notre oreille qui retrouve une spontanéité d'écoute telle celle que peuvent avoir les enfants.

 

* La musique est un art de la répétition et de la variation. La valeur de chacune de ces récitations tient essentiellement dans l'importance de la répétition:  Chaque récitation représente un aspect différent de ces jeux vocaux répétitifs et cumulatifs.

 

 

 

 

Récitation 7 

 

Composée d'une litanie uniforme brodant sur les deux notes ré do#. Cette oscillation est associée aux phonèmes « Ro-Aû ».

 

* Neuf rythmes sont proposés et agencés selon cet ordre: a ab abc abcd abcde, etc... C'est le même procédé cumulatif que l'on retrouvera dans la Récitation 8

* Cette progression logique et confortable sera sans cesse et de plus en plus perturbée par deux éléments:

                - trois sons dans l’extrême grave prononcés sur les phonèmes «Ma-ha» avec un claquement de mains

                - une suite de sons aux intervalles distendus, articulés "staccato", "du bout des lèvres en riant" sur toutes les notes chromatiques de fa à do émis sur des phonèmes imprononçables («Snievlemk», «Esnxesn», etc...). En attribuant des numéros à chacune de ces notes de 1 à 9, on obtient une suite logique toujours par accumulation progressive 9877 puis 9877 654 puis 9877 654 44433321, etc... Les sonorités de 1 à 9 finissent par dominer le discours à la fin.

 

 

 

 

Récitation 8  

 

* Cette récitation, ainsi que la 11,  fait largement usage du principe d’accumulation progressive. Un élément est proposé, puis un autre juste avant, puis un autre juste avant les deux précédents, etc...

 

* Les trois parties de la Récitation 8 (correspondant aux trois numéros du cd) peuvent être lues les unes après les autres (verticalement) ou horizontalement.

 

* A partir de ce principe, remarquons la variété de phonèmes et de tons de la voix. Certains sont très rythmiques, sec et rapides, d'autres sont plus mélodiques.

 

 

 

 

Récitation 11

 

* Elle propose le principe d'accumulation progressive non plus en rajoutant des éléments avant les précédents, mais aussi après, donnant à l'ensemble une forme de pyramide.

 

* Contrairement à la Récitation 8, celle-ci utilise des phonèmes plus longs, donnant de véritables bouts de phrases puisées dans le langage de la vie quotidienne "va lui d'mander, toi", "je m'excuse", "ça s'écrit comment ?".

 

* Ces débuts de phrases "intelligibles" permettent de qualifier ce style vocal de Sprechgesang (voir mots-clefs)

 

 

 

 

Récitation 13 

 

A chaque note est associé un timbre instrumental, ainsi que le phonème correspondant («Kat», «Ga», «Mra», etc...). Chaque phonème doit imiter le son de l'instrument, il s'agit d'onomatopées.

 

* Si les autres Récitations peuvent être considérées comme discontinues, celle-ci serait plutôt continue: une totale uniformité rythmique la parcourt de bout en bout (quelques silences exceptionnels à la 4e ligne) en n'oubliant pas que "le public ne doit pas se rendre compte que le chanteur respire" (Aperghis).

 

* Sur le plan formel, il n'y a pas d'accumulation progressive ou un quelconque agencement savant (comme à la Récitation 7). Notons que les différentes "notes" ou onomatopées arrivent progressivement.

 

* Toutefois, la 2e ligne (sur fa) est l'exacte rétrogradation de la première.

 

* Plusieurs versions de la même pièce peuvent être données en attribuant au couple phonème/onomatopée une autre note que celle proposée, laissant une grande liberté à l'interprète.

 

 

Récitation 14

 

La caractéristique de la dernière pièce du recueil relève d'une prouesse technique épuisante: il s'agit pour l'interprète de lire une série de sonorités proches (autour des sons a-e-l-or) en un seul souffle et en ralentissant progressivement vers la fin. La situation proche de l'asphyxie donne une sonorité recherchée tout à fait originale. Placée en toute fin du cycle, elle symbolise, après 13 récitations,  l'épuisement et peut-être la mort d'une voix étant allée jusqu'au bout de ses possibilités. Dans la mise en scène de 1982, Martine Viard (l'interprète) éteint une bougie.