Anton von Webern (1883-1945)

 

Quatre pièces pour violon et piano Op.7   (1910)

 

 

I (7) veut dire  pièce n°1, mesure 7

 

Anton Webern (1883-1945), autrichien. Il occupe divers postes de chef d'orchestre en Autriche et à Prague. Il fit partie de la "trilogie viennoise" avec Alban Berg et A.Schönberg (dont il était l'élève). Solitaire, réservé et modeste, il n'a pas connu de gloire ou de succès d'estime du public, bien qu'il ait été fort bien reconnu par les compositeurs avant-gardistes d'après 1945 (Boulez, Stockhausen, Ligeti). Le caractère de son œuvre est intime et exempt de toute théâtralité

 

1) Ces 4 pièces Op.7 ont été écrites en 1910. Ces pièces composées au début de la carrière du compositeur correspondent à un moment où Webern se donna la brièveté pour contrainte.

 

2) Elles marquent un tournant dans la musique occidentale: elles font partie des premières œuvres qui rejettent un système tonal vieux de près de 500 ans. Elles marquent donc un tournant capital dans la musique occidentale: la tonalité est définitivement  abandonnée au profit de l’atonalité. Il n’y a donc évidemment pas d’armure à la clef pouvant indiquer une quelconque tonalité. Chaque note est précédée d’une altération.

 

3) Les 4 pièces alternent leur mouvement:

    * Pièce n°1      Sehr langsam  (très lent)

    * Pièce n°2     Rasch  (rapide)

    * Pièce n°3     Sehr langsam  (très lent)

    * Pièce n°4    Bewegt  (agité)

 

4) Le discours musical procède ici par brèves illuminations, interjections soudaines et envolées lyriques. "Le principe de concentration dans les 4 pièces  (respectivement de 9, 24, 14 et 15 mesures) résulte de la juxtaposition de fragments réduits à des gestes le plus souvent furtifs et inaboutis, et qui ne trouvent leur résolution que dans le silence (...)"  [Adélaïde de Place, Guide de la musique de chambre, p.937]

 

5) Ces pièces sont écrites selon le principe de non répétition: aucun motif ne se répète. Cette non répétition dans un contexte atonal conduit naturellement à constater qu’il n’y a aucun thème; ces pièces sont athématiques.

 

6) L’absence de thème, de langage tonal et surtout de répétitions impliquent une absence de forme. Cette musique est un premier pas vers une nouvelle conception du temps musical au XXe siècle qui aboutira à la «forme ouverte» (forme non déterminée qui change à chaque exécution) en sorte de constante improvisation.

 

7) La brièveté de ces pièces est un élément capital du style de Webern. On peut lire cette brièveté à deux niveaux:

     a) La brièveté des pièces elles-mêmes (l’ensemble des 4 pièces dure à peine 5 minutes), totalement à l'opposé du développement romantique narratif. Il s’agit d’une réaction contre l’hypertrophie des grandes formes symphoniques romantiques (longues symphonies de G.Mahler, par exemple).

     b) La brièveté des motifs: les traits instrumentaux sont courts et brefs afin, encore une fois, de ne jamais céder au développement.

         Pièce n°1: motif de mesure 1 à 3 puis nouveau motif de 3 à 5 puis un 3e de 6 à 9

         Pièce n°2: motif de mesure 1 à 2 puis nouveau motif de 2 à 5 puis un 3e de 6 à 7, etc...

         Pièce n°3: motif de mesure 1 à 5 puis nouveau motif de 6 à 9 puis un 3e à 10, etc...

         Pièce n°4: motif de mesure 1 à 4 puis nouveau motif de 5 à 10 puis un 3e de 13 6 à fin

 

8) Dans les pièces lentes (I et III), on constate une extrême dématérialisation du langage sonore. Il y a une grande importance du silence, on est aux confins de la perception acoustique.

 

9) Grande complexité et virtuosité rythmique pour casser toute idée de pulsation régulière. Mesures et rythmes irrationnels. Les parties rythmiques du piano et du violon sont asynchrones et irrégulières: I (4), II (6), II (8).

 

 

 

10) Jeux instrumentaux variés:

     Mit Dämpfer (avec sourdine)  I (1), III (1), pour avoir un volume moins élevé

     Ohne Dämpfer (sans sourdine)  II (1), IV (1)

     Am Griffbrett (sur la touche):  II (12) l’archet est placé loin du chevalet pour obtenir un son détimbré

     Col legno: I (5), II (9 et 10)  les cordes sont frottées avec le bois de l’archet (l’envers du crin)

     Les notes en forme de losange creux: I (1),  II (11), IV (7) ce sont les harmoniques qu’on obtient en effleurant la corde avec les doigts.

      Pizzicatto:  les cordes sont pincées avec les doigts  I (8), II (6), IV (9)

      Arco: IV (10), II (11 et 18): jeu normal avec l’archet

      Am steg (en italient: sub ponticello: au chevalet): II (14), III (4), IV (13) : placer l’archet très près du chevalet

 

 

11) Importants contrastes de nuances dans les pièces rapides (II et IV).

      Dans la pièce n°2, on a ppp à 1 ou de 12 à 15 et fff à 5 ou à 20 et 24

      Dans la pièce n°4, on a ppp à 5, 10 et 14 et ff à 1 et 9

 

12) Nombreux changements de tempo et de caractère dans les pièces rapides (II et IV):

      Dans la pièce n°2, on a successivement Rasch (1, approx: rapide), Breit (ample, large), Langsamer (lent), accelerando (16, en pressant).

      Dans la pièce n°4, on a successivement Bewegt (1, agité), Molto ritenuto (3, très retenu), Ruhig (10, calme)

 

 

 

Conclusion:

 

* Tous ces éléments (les idées 2, 4, 5, 6, 7, 8, 9) imposent une perte des points de repère habituels à notre oreille; notre perception du temps musical en est profondément changée.

 

* Cette perte de points de repère peut autoriser un rapprochement de cette musique avec l’art pictural abstrait (le peintre Kandinsky par exemple) et la découverte de l’inconscient, repoussant les bornes habituelles de la perception et de l’imagination.